Messieurs,
Ce n’est pas de gaieté de cœur que je me permets de vous envoyer cette alerte. Mais, il y va de milliers de familles et de petites entreprises qui dépendent de votre décision. Ce courrier est lourd de conséquences, pour nos communes, nos intercommunalités, nos départements, nos régions, notre pays et ceux qui les dirigent.
Tout d’abord, sachez que Vinci, Airbus et autre Air France ne sont pas les seuls à être des leaders dans leurs secteurs.
En effet, avec plus de deux millions cinq cent mille bassins, la France est le deuxième marché mondial de la piscine. Et ce, avec près de 3 000 entreprises et plus de 50 000 emplois directs. Pour votre parfaite information, près de 1 000 entreprises ont disparu lors de la crise de 2008.
A la vue des décisions qui sont actuellement prises, vous pouvez condamner à nouveau plus de 1 000 autres entreprises.
Vous pouvez changer le cours de l’histoire. Et ce, sans déroger à nos règles démocratiques et républicaines.
Oui, nous sommes en guerre. Et une guerre se gagne avec le cœur et l’intelligence.
C’est donc à votre cœur que je fais appel pour lire avec la plus grande attention cette tribune qui n’a d’autre ambition que de toucher le vôtre sans oublier votre intelligence qui comprendra la justesse des propos ci-dessous.
Le Premier Ministre l’a répété lors de sa présentation du plan de déconfinement à l’Assemblée Nationale, le mardi 28 avril 2020, il va nous falloir apprendre à vivre avec le virus du Covid-19.
Et il exhorte en même temps les entreprises, à reprendre leur activité.
Cela implique d’adapter nos procédures, nos manières de travailler, notamment en continuant autant que possible à télétravailler.
Quand l’activité dépend de celle de l’administration
Mais certaines entreprises dépendent de l’activité de l’administration, et si les administrations ne reprennent pas elle-même leurs activités, un grand nombre d’entreprises resteront bloquées.
En particulier, notre secteur d’activité dépend entièrement de la délivrance des autorisations d’urbanisme : il s’agit des petites entreprises de constructions de piscines pour particuliers. Une telle activité n’est certes pas, en soi, essentielle à la vie quotidienne. Mais, derrières ces entreprises, ce sont des milliers de familles qui se retrouvent en détresse du fait de l’absence d’activité et donc de rentrées financières.
Il y a donc urgence à ce que ces demandes d’autorisations puissent être instruites, et que des décisions soient prises pour permettre effectivement à nos entreprises de reprendre elles-mêmes leurs activités. A défaut, elles ne le pourront pas, de même que nombre de sociétés de construction.
Certes, votre Gouvernement a entendu le secteur de l’immobilier en adaptant les délais propres au droit de l’urbanisme, pour faciliter la reprise1.
Ces améliorations sont notables mais deux défauts majeurs subsistent.
Le premier réside en ce que tous ces délais sont liés à la fin de l’état d’urgence sanitaire.
Or, celui-ci pourrait être prorogé jusqu’au 24 juillet prochain. La question devrait être débattue samedi prochain en Conseil des ministres.
Cette prorogation est évidemment logique, puisque les mesures privatives de libertés en dépendent (liberté d’aller et venir, liberté du commerce et de l’industrie, liberté de réunion), et nous ne la remettons pas en cause.
Mais, sauf à modifier de nouveau les ordonnances du 25 mars 2020 en la matière, il y aura report des délais d’urbanisme susvisés, c’est-à-dire, notamment, un nouveau décalage du point de départ des délais d’instruction, des demandes d’autorisation d’urbanisme et du point de départ des délais de recours.
Pour notre secteur d’activité, et d’ailleurs d’autres opérateurs qui dépendent de l’obtention de ces autorisations, cette conséquence sera mortifère. Il est donc primordial de rendre autonome la reprise des délais d’urbanisme, qu’il s’agisse des instructions mais également des délais de recours contre les instructions. Il n’y a d’ailleurs aucune justification à ce que cette reprise ne se fasse qu’à compter du 24 mai. Elle pourrait coïncider de manière cohérente avec le début du déconfinement, soit à compter du 11 mai, pour accompagner la reprise des entreprises.
.Le second défaut majeur de ce système est la cessation des instructions effectives pendant cette période d’état d’urgence sanitaire.
En effet, malgré le report des délais de procédure et d’instruction, une autorisation peut parfaitement être délivrée, si son instruction peut être menée à son terme.
Le Premier Ministre réaffirme que le télétravail doit être la règle, mais ne dit mot sur les mesures à prendre dans les collectivités pour l’organiser, notamment la reprise des missions de service public des services instructeurs.
Il est vrai que votre Gouvernement a jugé que les services chargés de recueillir les demandes d’autorisations d’urbanisme seraient non- essentielles et pourraient donc, à ce titre, être fermés sur décision de l’autorité locale compétente2. C’est précisément pour ce motif que les délais d’instruction, les délais de recours, et d’autres délais en matière administrative, ont été prorogés ou suspendus.
Certaines collectivités, trop nombreuses, ont conclu à la possibilité de cesser toute instruction.
Une telle situation, qui révèle l’absence de la mise en place de plan de continuation de l’activité (PCA), s’avère clairement contraire aux principes constitutionnels de continuité des services publics et de l’égalité des usagers devant les services publics.
C’est d’autant plus vrai que rien ne s’oppose à la poursuite des instructions. De nombreuses collectivités poursuivent d’ailleurs les instructions, et prennent des
décisions.
Le maintien de cette mission de service public est donc possible et la poursuite des instructions et des prises de décisions doit être garantie par l’état dès maintenant, et veillant à la rendre possible dans le respect des gestes barrières, en aidant les collectivités à s’organiser, en fournissant le cas échéant du matériel aux instructeurs, bref, en garantissant la continuité du service public sur l’ensemble du territoire national.
A cet égard, la question des consultations extérieures n’est pas un obstacle, dès lors que chaque service, organisme et/ou collectivité s’organise.
L'urgence de déclarer les services de l’urbanisme « service public essentiel »
Il est donc urgent de déclarer les services de l’urbanisme « service public essentiel » puisque leur fermeture aboutit, de facto, à mettre à l’arrêt tout un pan de l’économie, ce qui participe à faire entrer notre pays en récession.
Nous devons surtout garder à l’esprit qu’en cas de « seconde vague », ou de saisonnalité du virus, notre secteur d’activité ne résistera pas à une nouvelle période d’arrêt complet d’activité. Il faut donc se préparer à travailler potentiellement de manière récurrente en confinement.
La mise en place accélérée des mesures adoptées par la loi ELAN pour la dématérialisation des instructions des autorisations d’urbanisme est à notre sens une priorité si l’on souhaite préserver le secteur de la construction.
Le plan de déconfinement doit donc intégrer une reprise de l’activité de tous les services instructeurs, d’une part en donnant les moyens effectifs aux collectivités de s’organiser de manière dématérialisée et, d’autre part, en déclarant la reprise des délais d’urbanisme à compter du 11 mai prochain.
A défaut, nous craignons que notre secteur d’activité ne se relève pas de cette épreuve, ce qui placerait de nombreuses familles dans une situation critique.
Il me semble que ces éléments de réflexion, qui reposent sur des notions juridiques établies et validées par les juges administratifs, pourraient parfaitement être entendus par votre Gouvernement et les ministères concernés.
En vous remerciant, à nouveau, de votre attention particulière, qui permettra à nombre d’entreprises et de familles de survivre grâce à votre action.
Prenez soin de vous et de tous ceux chers à votre cœur.
Thierry d’Auzers
PDG Everblue France,
en partenariat avec
Maître Vanina Ferracci,
avocat associé du cabinet F&L Avocats
1 Ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l'épidémie de covid-19 et modifiant les ordonnances n° 2020-305 et 2020-306 du 25 mars 2020.
2 Rapport du 21 mars 2020 relatif à la continuité des services publics locaux dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire